Boredoms – Super æ
En ce moment, il m'est impossible de contenir l'exaltation musicale dans laquelle je baigne sur un fond de fausse sérénité, cet état de pseudo-euphorie notoire m'évitant de trop penser à mes funestes obligations. D'où la cascade de bonnes notes, et surtout l'envie de parler de mes albums favoris, ceux dont je ne peux m'empêcher de citer le nom dès qu'on me laisse l'occasion de le placer. Demandez-moi ce que j'aime comme musique une première fois, je donne Neil Young et Frank Zappa. Demandez-le une seconde fois et vous en aurez pour trois quart d'heure de listing argumenté, avec en tête de file le magmatique groupe de Yamatsuka Eye, je parle bien sûr des Boredoms. Logique alors qu'il me vienne à l'esprit leur galette la plus au point, le super-album Super æ.
A
première vue, voilà encore de quoi conforter les
anti-expérimentaux les plus récalcitrants, un autre
atout imparable pour les derniers bastions retranchés de la
mélomanie old fashionned. Là où les vieux
papas s'arrêteraient en parlant d'immondices méphitiques,
il faut se dresser avec fracas contre une position si peu ouverte et
fustiger cette impardonnable prise de position face à un
chef-d'oeuvre qui a marqué la fin du siècle dernier.
Car oui, je le clame haut et fort : les Boredoms ne sont pas un
groupe surestimé, et sont pour moi les dignes successeurs de
Captain Beefheart et Pere Ubu, nouveaux détenteurs du savoir
no wave, chambellans issus des cendres d'une chimère
bicéphale qui rugit avec les incandescents US Maple la force
d'un genre atypique.
Que
peut bien donner une telle super-affiche ?
Non,
ce n'est pas emprunt de traditionnel comme du Keiji haino, mais c'est
tout aussi inspiré. Non, ce n'est pas non plus aussi terrible
que le harsh noise de Merzbow, mais ça en a les qualités.
C'est à la fois Melt Banana et Butter 08, Ground Zero et
compagnie. C'est tout à la fois, puisque ce sont des icônes
de l'underground new japan (in a dishpan) qui échappent
aux carcans habituels.
Ce
que ça veut dire en super-clair ?
Ecouter
cette super-production, c'est surtout faire face à un joyeux
imbroglio musical aux variations sinusoïdales, dans un espace
pétaradant de bruits et de grooves. La schizophrénie
faisant loi, on célèbre des apparentes coupures du réel
par un festival d'un goût excellent, celui qui taille en
friches la musique, base de création d'un ensemble improbable
dont la cohérence réside dans l'universalité du
message ainsi formé. Prolifique, cette décoction donne
naissance à la pureté dans un brouillon de saveurs
jubilatoires.
Ecouter
ces super-héros, c'est adopter une vision intelligente d'un
art qui reste capable malgré son extrêmisme de charmer
une Euterpe contemporaine. Les années 90 ont été
celles de la fusion des styles, marquant l'avènement des
musiques nouvelles de plus en plus libérées, celles qui
lancent une campagne pour l'impact dissonant comme nouvel Empereur de
la Musique. Sans garde-fou. Au beau milieu de ce paysage résolument
moderne existe Super æ comme pièce maîtresse
de l'édifice, charpentée de son formidable mélange
de genres. Passant d'un bruit monosonique à un patchwork
musico-chromatique exceptionnel, variant les teintes et les timbres,
oscillant entre thèmes électro et plans rock
désincarnés, voilà bel et bien une musique qu'on
qualifiera de changeante.
Tantôt
hypnotique, matériaux fait de boucles sonores au dosage
infinitésimal, ce réglage au micropoil de notre
sensation de balancement frénétique afin de ne pas
desservir la sensation ; tambouille magique appuyée par des
rythmiques tribales, une sorte d'ethno-rock chamanique aux tons
clair-obscur. Tantôt hérissée, hirsute et
imprévisible ; cacophonique, relevant de l'exquis syndrome
dada retrouvé avec bonheur, parmi ces hurlements, ces bruits
et dissonances complices.
Ainsi,
notre coeur balance entre une introduction calme au synthétiseur
et un jam aux sons funky, le tout miraculeusement émergé
d'une transition psychédélique ; parfois il s'étonne
de cette guitare acoustique semblant surgir de nulle part,
accompagnée de voix aussi inattendues que le big bang
électrique qui suit et le fait sursauter ; enfin il se délecte
des tendances jazzy que résorberont certains instants,
frétille à l'écoute des parodies folles plutôt
du genre country, tout comme de tous ces bruits inouïs dont
seuls Yoshimi & Co ont le super-secret. Une musique syncopée
et artérielle : oxymore, quand tu nous tiens.
Les Boredoms démontrent donc avec Super æ leur ultime savoir-faire dans la mise à nu de l'ensemble des genres, faisant passer le complexe pour du simple et inversement, dans une découverte d'un appétit véritablement charnel d'un corps asbtrait. On ne sait pas s'ils déshabillent délicatement la musique ou s'ils dynamitent ses concepts en sa moëlle mélodique. Ce qui reste sûr à l'écoute d'un tel masterpiece, c'est que ces super-fadas auront su tout détruire pour mieux reconstruire.
Résolument destiné aux adorateurs de musique nouvelle plus qu'aux simples amateurs de l'underground japonais, ce monument du genre mérite les honneurs. Souvent comparé au mythique Vision Creation Newsun, il rappelle le dilemme des albums siamois de Beefheart (voir la chronique du 22 janvier). A chacun de les départager comme il peut !
...
Eh oui, un ovni de plus dans ma collection de chroniques, à ce
train-là vous allez vite en avoir marre !
« C'est
super, putain, c'est super ! »
Note générale : 30/20
*** Si vous aimez, essayez... ***
Boredoms - Vision Creation Newsun
Rovo - Imago
OOIOO - Taiga