MF Doom – Special Herbs, the BOXSET Vol. 0-9
Il
est parfois bien difficile de devoir parler d'une découverte
personnelle alors qu'il s'agit pour d'autres d'un artiste bien connu
: le chroniqueur qui doit faire face à ceux qui connaissent le
mythe alors que lui-même ne le connais que depuis peu. MF Doom
fait partie de ces révélations qui me font penser que
finalement, tout ce que je sais, c'est que je ne sais encore rien. Et
quand bien même je croirais avoir trouvé mon artiste hip
hop favori, il faudrait attendre que quelqu'un d'autre ne vienne lui
prendre la place. C'est certain. Pourtant, malgré ma
connaissance peu approfondie de l'histoire du rap, je suis bien
décidé à parler un peu de ce type dans un
nouveau dossier portrait, puisqu'il est au coeur de l'actualité
du genre. C'est parti !
Daniel
Dumile, né à Londres le 9 janvier 1971, ne restera pas
longtemps au Royaume-Uni puisque sa famille décidera de
déménager à Long Island, NYC. C'est à 18
ans qu'il commence à faire sérieusement parler de lui
avec son frère cadet aka DJ Subroc, comme membres du groupe
KMD avec Onyx. « Kausing Much Damage »
deviendra vite « positive Kause of a Much Damaged
society » puisqu'ils signeront avec le label Elektra
pour deux albums qui se voudront engagés contre la ségrégation
raciale encore latente aux States. Mr Hood ne connaîtra
un franc succès que plus tard (vers 1995) comme fer de lance
d'une nouvelle conception du hip hop ; car au début des 90s ce
seront surtout des artistes comme Ice Cube (AmeriKKKa's Most
Wanted) ou Public Enemy (Fear of a Black Planet) qui
caracoleront en tête des charts. Dumile connaîtra par la
suite une mauvaise période entre 1993 et 1997, puisque son
frère décédera renversé par une voiture
et qu'en prime Elektra lui refusera la signature de Black
Bastards, autre monument refusé pour cause d'une pochette
très controversée – le titre comme jeu du pendu avec
une représentation cartoonesque d'un petit noir au bout d'une
corde...
MF Doom n'apparaîtra qu'en 1999 avec la sortie d'Operation: Doomsday, masquant un Daniel Dumile ayant eu peine à se relever de ses blessures et tourné contre l'industrie qui l'a « atrocement déformé ». Car effectivement, l'ancien Zev Love X s'est transformé en super-vilain obèse, homme au masque de fer directement calqué sur le personnage de Dr Doom de la série de comics Fantastic Four. Comme sorti de nulle part, puisque personne en 1997 ne savait qu'il recommençait à tourner comme MC (notamment au Nuyorican Poets Café), son masque deviendra un symbole au design navigant entre celui du comic et celui du Gladiator de Russel Crowe.
MF
pour Metal Face donc, mais aussi pour le Metal Fingers auteur de sons
purement géniaux de groove (et pourquoi pas Mother Fucking
Doom)... La renaissance de Dumile à travers ce personnage va
marquer un point crucial dans l'évolution de la culture hip
hop underground, grâce à un son east-coast mixant avec
génie des samples groovy à d'autres kitch datant des
80s.
C'est
ainsi que Daniel Dumile devient un artiste indépendant, une
icône signant l'incomparable Operation: Doomsday d'abord
pour Fondle'em (la version 1999 est introuvable avec ses samples de
Marvel) puis SubVerse (en 2000 et 2001 !)... un pilier majeur, un
point de départ d'une nouvelle carrière exemplaire,
faite non seulement d'albums de rap purement exquis mais aussi d'une
série de travaux instrumentaux, les fameux volumes Special
Herbs.
Ainsi,
c'est en 2001 que MF Doom commence à compiler toutes ses
trouvailles sonores en différents volumes, numérotés
de 1 à 9 ( et 0), aux jaquettes reprenant des images vintage
du comic des Fantastic Four, introducing Dr Doom (du moins
jusqu'aux volumes 5-6) comme un écho de la pochette interne de
sa première production. Le tout ressortira sous forme de mix
début 2006 (je vais y revenir).
Entre-temps,
la réputation de MF Doom va prendre de l'ampleur jusqu'à
devenir un véirtable phénomène qui explosera
littéralement en 2003 et 2004, les années MF, pendant
laquelle il jouera au chat et à la souris avec ses fans en
adoptant divers pseudonymes. En 2003 : King Geedorah, Viktor Vaughn,
puis l'apparition sur l'album de Monta Island Czars aux côté
de Kurious et son pote MF Grimm (cf. respectivement ? et Tick
Tick sur Operation: Doomsday), et enfin production de
l'album Nastradoomus avec
Nas. Comparé à Madlib (aka Quasimoto), il
enchaînera rapidement les collaborations et projets, avec la
naissance de Madvillain en 2004, année de son second
album solo, l'excellent Mm... Food,
semblable en structuration de morceau. Danger Doom en
2005, né de son association avec Danger Mouse.
Bref,
Doom collectionne les projets, et ça marche : les critiques
sont unanimes, on parle même de références pour
le premier album de Viktor Vaugh et celui de Madvillain. Chaque
sortie de l'ancien KMD est désormais à surveiller, et
d'ici avril 2007 on devrait avoir droit à Swift and
Changeable, soit le premier album de MF Doom & Ghostface
Killah, cf. le Wu-Tang Clan. Du gros son en perspective...
Mais revenons à nos moutons ; il faudra donc attendre janvier 2006, après maintes collaborations et side-projects, pour que MF Doom nous ponde une perle de mixtape : le Special Herbs Boxset, mixture spéciale préparée aux petits oignons. Le genre de cadeaux tombés du ciel puisque outre les 3 heures de rétrospective instrumentale, il nous offre 10 « Secret Herbs & spices from the KMD kitchen », comprenez des titres inédits de feu son premier groupe. A quoi cela ressemble-t-il ?
Tout
d'abord, visuellement, l'objet en lui-même est magnifique. La
pochette est signée Matt Doszocs et annonce clairement la
couleur : MF the Supervilain nous invite dans sa cuisine pour nous
présenter un assortiment unique d'assaisonnements de derrière
sa table de mixage ! La recette devrait fonctionner, car ouvrir ce
petit coffret rappelle étrangement la sensation de feuilleter
un vieux recueil de cuisine, façon mamie gâteau. Bref,
vous l'aurez compris, cette compilation présente bien et peut
se dévorer rien qu'avec les yeux.
C'est
donc en toute logique que l'on commence à goûter la
saveur de ces ingrédients, une préparation en trois
étapes difficilement séparables.
Le
premier disque contient 37 pistes. Silence, ça tourne !
Ahlala, qu'il est fort le roi Ghidra, il balance direct la sauce avec
un Arrow Root qui fera frémir les adorateurs du premier
album solo (sample à la base du titre Doomsday). Le
disque se déroule tranquillement, quelque part on aimerait
aussi avoir des versions rappées (comme des carottes, ahahah)
mais que dire sur des tubes incontestables comme Coffin Nails,
ceux qui se suffisent à eux-mêmes ? Même si
l'on se rend finalement vite compte que chaque boucle ne fait pas
plus de deux minutes, dans lesquelles MF Doom laisse parler ses
talents de producteur en distillant des sons efficaces alliés
à des beats très recherchés. On navigue
facilement entre des plans jazzy à des samples plus rock, sans
pour autant être des riffs de hard qui gâcheraient la
composition sous prétexte de fusionner les styles. Ca
s'appelle du génie, et ça dure bien une heure et quart
pour la première partie.
Second
disque : c'est reparti pour un tour, nous voilà lancés
pour 35 autres herbes spéciales et on s'imagine encore une
fois à tracer la route seul, rien que pour savourer l'instant,
sur ces sons tubesques comme Bark, Coca Leaf ou bien
sûr Star Anis... Qui d'autre que MF Doom est capable de
faire cohabiter dans son assiette de la purée 80s avec des
épices groovy ? Imaginez un chef capable de rendre délicieux
une charlotte de sardines à l'huile. Ici, même concept,
le son kitch se marie étonnamment avec le reste, on n'en fait
qu'une bouchée. Malheureusement, tout s'enchaîne si vite
qu'on manque presque de temps pour savourer la texture même des
productions proposées. Quand on y pense d'ailleurs, on peut
quand même se faire la réflexion qu'un tel aperçu
en quatrième vitesse pourrait gêner les puristes ; que
cet objet ne conviendrait qu'à ceux qui n'ont pas la
collection des volumes. Malgré tout, on ne peut pas cracher
sur un plat au fumet qui émoustille si facilement nos tympans
; et en outre, voilà une friandise qui ne risque pas de nous
faire friser l'indigestion. Un délice léger mais
consistant, que rêver de mieux ? Pas besoin d'en dire
davantage, pour le coup la popotte de Metal Finger c'est de la pure
finesse, des doigts de fée métalliques qui caressent
les styles, effleurent les sons et domptent les beats.
Le
troisième disque, la partie secrète de la boxset vaut
uniquement le coup pour ceux qui connaissent déjà bien
le black lascar et qui adorent les premières heures de Zev Luv
X. On découvre ici avec plaisir une dizaine de trésors
enfouis sous le soleil des jours de KMD. Un petit plus qui ravira les
geeks.
Au
final, cette compilation de Special Herbs ne présente
presque pas de défaut : elle donne un large panorama des
meilleures créations de Metal Face dans un coffret classieux,
plus de trois heures de musique non-stop qui éviteront
l'achat des volumes deux par deux, le tout aussi écoutable en
fond musical lors d'une soirée entre amis que pour une analyse
profonde des sons. Il faut cependant souligner son gros défaut,
c'est qu'il s'agit d'une édition à tirage limité
à 7500 exemplaires, donc si vous comptez vous offrir un peu de
hip hop underground, n'attendez pas que les prix grimpent à la
verticale comme cela se fait souvent lorsqu'on parle de MF Doom ou
KMD !
Aujourd'hui
encore, et plus que jamais, MF Doom est l'un des artistes dont on
attend le plus. Après la création d'une page Myspace et
quelques interviews, on en sait déjà plus sur le héros
masqué. Il serait marié, aurait deux enfants (oui oui
comme la série), et vivrait à Atlanta en Géorgie.
Il a notamment expliqué que le masque qu'il porte est un
contrepoint de l'industrie du rap qui véhicule plus les images
que les idées... pourtant, certains forums de fans laissent
présager que Dumile tomberait le masque. Ouh le vilain.
Quoi qu'il en soit, « peu importe l'apparence » dixit MF Doom, qui demeure bien un artiste majeur du hip hop, pionnier du nouveau son east coast des années 2000. Sa compilation de petites herbes fait voler haut, très haut ce qu'on appelle pourtant avec un air précieux l'underground new-yorkais ; comme si finalement, l'expérimental pouvait lui aussi sonner easy-listening.
Note générale : 18.5/20
*** Si vous aimez, essayez... ***
MF Doom – Operation: Doomsday
Viktor Vaughn – Vaudeville Villain
Madvillain – Madvillainy