Oxbow – Serenade In Red
Un
cri strident résonne, déchirant la nuit de lambeaux
d'agonie. Pas de doute, c'est bien un album d'Oxbow que vous venez de
remettre à tourner pour la troisième fois d'affilée aujourd'hui,
et vous commencez sérieusement à avoir des doutes sur vous-même. Que
devez-vous conclure d'une telle addiction ? Vous avez vu, que dis-je, dévoré les DVD du
groupe, sillonné avec force intérêt les webradios pour en écouter quelques
pistes, mais jamais vraiment assez d'une oreille attentive ; or ici,
il vous semble rester indubitablement scotché à une écoute
dévastatrice. Votre cerveau analyse. Il se passe quelque chose dans votre tête.
C'est dingue. Quelque chose de dingue dans votre tête. Oui.
C'est fou. Fou. Je vous comprends.
Cité
comme l'album référence parmi bon nombre d'amateurs,
Serenade In Red est situé à mi-parcours
de l'histoire d'un groupe unique, Oxbow : un quatuor de dérangés
qui débute sa carrière en 1990, et qui après
plus de quinze ans de service, sévit toujours dans le plan
underground en délivrant son bilan de psychopathes. Cet album,
sorti au départ en 1996 sur un label allemand – les
Américains n'en voulaient pas – a été réédité
depuis et on peut désormais le trouver sur Ruminance Records, pour un prix plus abordable et avec deux bonus
tracks – dont une cachée
– soit un total de dix pistes en une heure de sons.
Serenade
In Red, à l'instar des autres productions du groupe, est
un album violent : c'est le moins qu'on puisse dire. Et comme le laisse présager le titre, les
paroles vont porter sur l'amour, mais il serait naïf de croire à du pur déballage de sentiments. En réalité il dépeint une période difficile du chanteur,
mêlant sentiment amoureux féroce et violence exacerbée.
Une mauvaise passe tout aussi décelable dans sa façon
de hurler à la mort que dans la mélodie, les
compositions ne se contentent pas d'être excellentes, elles
sont aussi variées. Ainsi, Over ou Lucky
garderont le même esprit tandis que Luna aura un parfum
jazzy très prononcé – une basse dissonante et un
piano détraqué suffisent. Après l''évocateur Killer, Insane Asylum nous gratifie d'un silence pesant. Malgré tout, pas
d'inquiétude : le tout sonne comme un manifeste sauvage de
violence sinueuse et perverse.
Effectivement,
la renommée – très relative – du groupe est en
grande partie due à son frontman, le chanteur Eugene Robinson,
comprenez armoire à glace en bois d'ébène, actif
pour un webzine pornographique, genre celui dont on évite la
rencontre un soir dans une ruelle sombre. Cest de lui d'où
provient cette force malsaine et l'ambiance pesante de la musique ;
vous vous sentez mal à l'aise en écoutant cet album ?
Alors imaginez en live, sur scène, un grand costaud qui a pour
habitude de se (faire) masturber en psalmodiant des paroles
cauchemardesques. Là, c'est le malaise.
On
peut très bien l'imaginer sur cet album, cette musique
incroyable, mélange de noise menaçante et de cris
dérangeants qui fait tenir en apnée auditive son
auditeur, qui voit même dans leurs passages plus softs
de vraies bouffées d'air frais qu'il juge presque comme une
ambiance reposante. Une ombre rampante en forme de blues vénéneux,
de la « musique pour adultes » à
conseiller aux avertis : il s'agit là du dark side of the
mood de l'expérimental, un son unique en son genre qui ne
remémore rien de connu.
Oxbow, c'est dérangé. Oxbow, c'est malsain. Oxbow, c'est grand.
Oxbow,
c'est peut-être un des meilleurs groupes actuels, bien que sa discographie élémentaire se place davantage dans les années 90. Aussi mythique et inimitable que The Jesus Lizard (on parle même du "Black David Yow"), il y a fort à
parier que beaucoup de futurs groupes verront en eux de quoi jeter
leur dévolu d'inspiration.
Note générale : 19/20
*** Si vous aimez, essayez... ***
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